J'ai publié ces derniers temps sur un modèle d'IA « Schizophrénique. » En fait, je devrais dire « trouble de personnalités multiples » puisque la véritable schizophrénie est une maladie au cours de laquelle le sujet présente une dissociation, une désagrégation de sa personnalité, et non pas plusieurs identités successives définies. Le trouble de la personnalité multiple a été décrit pour la première fois dans les années 1980 aux USA. Les patients atteints présentent des alternances de personnalités différentes, et peuvent passer de l'un à l'autre sans pouvoir le contrôler. Développer une IA « schizophrène », en voilà donc une drôle d’idée. Déjà qu’elles sont profondément autistes, pourquoi faire des créatures virtuelles à personnalités multiples ?
C’est une idée qui me trottait dans la tête depuis longtemps, mais le déclencheur a été la lecture du roman « Babylon Babies » de Maurice G. Dantec (1999) où une machine électronique vivante, dotée d'un cerveau bionique et d'organes de perception, est en fait une IA schizophrène. La même idée était déjà présente dans « Les racines du mal » en 1996. On retrouve aussi cette idée dans le film « virtuosity » de Leonard Brett en 1995 où un personnage synthétique composé à partir des personnalités de tueurs et de terroristes est utilisé pour entraîner la police. Je pense que cette idée d’une IA à personnalités multiples est extrêmement féconde et ceci pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, elle permet d’élaborer des personnalités virtuelles bien plus riches et crédibles. Les différentes « facettes » étant toujours présentes mais émergeants en fonction de l’environnement et des situations. Les expérimentations que nous avons menées montrent clairement cet apport dans la diversité des comportements, ce qui rend la créature moins prévisible et plus réaliste. Néanmoins, l’inconvénient majeur réside parfois dans son instabilité comportementale puisque, par définition, elle peut passer d’une personnalité à une autre. Une solution (presque) évidente consiste à essayer de réguler le comportement global par un « métabolisme émotionnel. » Ce n’est probablement pas la seule solution. Dans les expérimentations, je n’ai utilisé qu’une dizaine de personnalités différentes ou complémentaires, ce qui est peu. Je pense qu’il en faudrait plusieurs centaines pour atteindre une sorte de stabilité statistique comportementale. Un tel nombre permettrait en effet de commencer réellement à étudier l’émergence d’une intelligence « machinique » : je fais référence ici entre autres à mes travaux sur les systèmes complexes au bord du chaos (automates cellulaires, Lifedrop, etc.).
La seconde raison est que ce modèle permet d’envisager plus sereinement l’apprentissage. En effet, les différentes personnalités ne sont pas limitées au seul dialogue avec un utilisateur. Elles peuvent également interagir et dialoguer entre elles, faire preuve pour certaines de motivation et de focalisation sur des objectifs : par exemple collecter des informations sur un sujet. Outre cet apprentissage de nouvelles connaissances, le modèle est également propice à une évolution comportementale, par exemple en utilisant des techniques de programmation génétique.
J’ai choisi le tableau de 1952 de Dali, « Galatée aux sphères », pour illustrer cette idée d’une intelligence artificielle émergeant de l’interaction d’un grand nombre d’agents. Dans un prochain post je parlerai des résultats que nous avons obtenus récemment dans le domaine de la recherche d’information en temps réel avec notre IA schizophrène…