Dans l'imaginaire collectif, l'IA est devenue un mythe moderne.
Même si elle n'existe pas encore en tant que telle, pour beaucoup, y compris
certains érudits, il n'y a aucun doute : dans un futur proche, une
superintelligence émergera et surpassera l'intelligence humaine en tous
points. Cette quasi divinité prendra alors le contrôle de la destinée
humaine. Pour le meilleur, selon les technoprophètes du transhumanisme. Pour le
pire, selon certaines personnalités qui voient là l'une des plus grandes
menaces qui pèsent sur l'humanité.
Malgré les tentatives de retour à la raison de nombreux
scientifiques du domaine, rien n'y fait. Les articles prémonitoires se
succèdent et s'empilent sur la toile. Le moindre événement dans le microcosme
IA devient aussitôt un argument de plus qui étaye la thèse d'une singularité
technologique en croissance exponentielle.
Pourtant, il existe de nombreux arguments rationnels pour
montrer que cette hypothèse est très peu vraisemblable. Je ne vais pas les
énumérer à nouveau, car je l'ai déjà fait dans mon livre Immortalité numérique.
Je vais plutôt avancer un nouvel argument qui, à ma connaissance, n'a encore
jamais été mis en avant. Il est le suivant :
Les IA ne sont pas vivantes et il n'y a pratiquement aucune
chance qu'elles le deviennent.
Le nec plus ultra de l'intelligence artificielle actuellement,
c'est un réseau de neurones artificiels profond (deep Learning), c'est-à-dire
composé d'un nombre important de couches (de 4 à plusieurs centaines). Le
dispositif comporte une couche d'entrée, qui permet de lui transmettre des
données, et une couche en sortie, qui permet de récupérer le résultat après
propagation des données de couche en couche.
Après des années de galère, on sait aujourd'hui apprendre à un
tel réseau à reconnaître des formes (au sens large du terme) et à généraliser à
partir des données qu'on lui présente. Il est alors capable d'effectuer des
régressions ou des classifications selon le type d'application envisagée avec
un taux de réussite proche du sans-faute.
Un tel système n'est cependant pas vivant et il ne peut pas le
devenir, dans l'état actuel de nos connaissances. Sans entrer dans une
démonstration théorique complexe, son organisation est celle d'un automate et
non celle d'une structure autonome au sens de l'autopoièse. Et l'on peut prendre toutes les autres définitions de la vie
issues de la biologie : les architectures IA actuelles n'ont pratiquement
aucune des caractéristiques de la vie telle qu'on la connaît.
Il n'existe aucun exemple d'être conscient qui ne soit vivant.
Il me semble que la conscience (awareness) soit un préalable
indispensable à l'avènement d'une superintelligence. Or, il me semble également
que la vie est un préalable tout aussi indispensable à l'apparition de la
conscience, fussent-elle d'ordre primaire. Je ne parle même pas ici d'une
conscience d'ordre supérieure, c'est-à-dire liée au langage.
Il faut se rendre à l'évidence : les IA actuelles ne sont pas
vivantes, elles sont inertes. Elles ont tout au plus certaines facettes de l'intelligence que l'on attribue
à l'homme, mais là s'arrête la comparaison.
L'illusion de la vie n'est pas la vie. Nous avons beau projeter
sur les IA toutes les capacités que l'on attribue à l'esprit humain, par
anthropomorphisme, elles sont plus mortes que vivantes. En fait, on ne peut
même pas dire qu'elles soient mortes, puisqu'elles n'ont jamais été vivantes.
C'est probablement d'ailleurs l'une des causes du malaise
profond de certains à propos de l'IA. Tous comme certains robots androïdes trop
ressemblants à l'homme, ces fantômes d'esprits errent au fond de la vallée de
l'étrange.