Friday, November 14, 2014

Le projet Living Joconde sélectionné pour Futur en Seine

« Living Joconde » est un projet de recherche mené par l’IIM (Institut de l’Internet et du Multimédia) en partenariat avec l’école de design Strate. J'ai l'honneur d'être à la fois le directeur de l'IIM mais aussi celui du projet. Florent Aziosmanoff, auteur de « Living Art : l'art numérique » aux éditions CNRS, fait partie de l'équipe du projet. Cette action est labellisée par Cap Digital et financée par la région Ile-de-France. Elle sera présentée lors de Futur en Seine 2015. Pour sa 5e édition, ce festival mondial présentera du 11 au 21 juin 2015, au cœur de Paris et dans toute l’Île-de-France, les dernières innovations numériques françaises et internationales aux professionnels ainsi qu’au grand public.
Le projet de recherche est basé sur le célèbre tableau « La Joconde » de Léonard de Vinci qui sera décliné en :
(1) Un prototype de « bijou connecté » capable de s’animer et de réagir face à son propriétaire et en fonction de l’environnement. Cette approche ouvre la perspective de la joaillerie connectée et plus spécifiquement de bijoux « vivants ».
(2) Une installation numérique mettant en scène une reproduction interactive du fameux tableau à l’échelle 1, capable de s’animer et de réagir à son environnement. Cette approche ouvre la perspective des « peintures vivantes ».
(3) Une version « personnelle » de la « Living Joconde » sous la forme d’une application interactive sur tablette numérique.
Créé dans l’esprit du Living Art & Design, la « Living Joconde » propose non pas de posséder une Joconde, mais de vivre avec une Joconde.
Le projet tire parti des compétences des partenaires en matière d’installation interactive, de robotique et d’intelligence artificielle, de mécatronique, de design d’objets connectés et communicants. Outre les défis en terme d'animation haute-définition, de perception de l'environnement, de mécatronique, etc., j'ai un intérêt tout particulier pour le moteur « central » des dispositifs puisqu'il s'agira d'un module d'intelligence artificielle mettant en œuvre un « métabolisme émotionnel » capable de donner « vie » à la célèbre peinture de Léonard de Vinci. En clin d’œil, voici les premières images issues du projet (merci à Fabrice Houlné de l'IIM) montrant le modèle 3D développé (image ci-dessus) et un sourire étrange (image ci-contre).

Sunday, June 22, 2014

Immortalité numérique : intelligence artificielle et transcendance

Je profite de la sortie cette semaine du film Transcendance avec Johnny Depp pour publier un essai sur lequel je travaille depuis plusieurs années : Immortalité numérique.
Le thème du film est indéniablement celui de la singularité technologique. En voici le pitch :
Dans un futur proche, un groupe de scientifiques tente de concevoir le premier ordinateur doté d’une conscience et capable de réfléchir de manière autonome. Ils doivent faire face aux attaques de terroristes anti-technologies qui voient dans ce projet une menace pour l’espèce humaine. Lorsque le scientifique à la tête du projet est assassiné, sa femme se sert de l’avancée de ses travaux pour transcender l’esprit de son mari dans le premier super ordinateur de l’histoire. Pouvant désormais contrôler tous les réseaux liés à internet, il devient ainsi quasi omnipotent. Mais comment l’arrêter s’il perdait ce qui lui reste d’humanité ?
Encore un blockbuster qui joue sur la peur qu'inspire les machines. On avait espéré avec la série suédoise Real Humans un peu d'originalité, mais la seconde saison est, de ce point de vue, décevante. Bref, revenons à mon essai. Voici un résumé du livre :
Les technologies numériques bousculent ce que nous avions cru établi, jusqu’à remettre en cause la nature humaine. Il en est ainsi de ce rêve aussi ancien que l’humanité : l’immortalité. L’homme, ce mortel, a en effet toujours envié cette longévité aux dieux. Et voici que la science et la technologie nous laissent entrevoir la possibilité de devenir immortel, si ce n’est au niveau de la chair, en tout cas au niveau de notre personnalité numérique.
Certains prédisent que les avancées vont s’accélérer de manière exponentielle jusqu’à l’avènement d’une intelligence artificielle omnisciente. Dès lors, nous pourrions vivre comme de purs esprits débarrassés des contingences organiques. Allons-nous devenir des fantômes numériques errants dans les limbes d’Internet, des cyborgs immortels ou bien encore des clones accédant à leur passé multimédia ?
L’objectif de ce livre est de faire un état de ces questions qui régulièrement font l’objet de débats et de questionnements. En particulier, il convient de bien différencier l’image véhiculée par les films à grand spectacle et la réalité des laboratoires.
Dans la première partie, le livre introduit la notion d'immortalité numérique en montrant l'évolution de l'identité et de la personnalité sur les réseaux vers celle d’un double virtuel. Dans un second temps, il remonte aux racines de l'immortalité. Autrefois chasse gardée des religions, ce sujet est devenu un enjeu pour la science et la technologie, non seulement pour la médecine et les biotechnologies, mais également pour le numérique.
La seconde partie aborde le sujet controversé de la singularité technologique. Depuis l'accélération exponentielle du progrès jusqu'à l'immortalité par téléchargement de l'esprit dans un
ordinateur, en passant par l'avènement d'une super- intelligence artificielle, le livre tord le cou aux prédictions fantasmatiques des transhumanistes. Sans rejeter la possibilité de progrès scientifiques significatifs, il revient à une vision plus réaliste des perspectives liées aux recherches dans les laboratoires.
En particulier, dans la troisième partie, le livre fait un point sur cette jeune discipline qu'est l'intelligence artificielle. Après avoir fait beaucoup parler d'elle et fait rêver le grand public, elle a connu une succession d'avancées et de périodes moins fastes, voire de désaffection. Le livre rappelle son histoire et les principaux courants qui la composent, puis il présente une vision pragmatique de ses enjeux et de ses applications.
La quatrième et dernière partie aborde le sujet de la transcendance. Pour les hommes, elle est synonyme d'immortalité, d'une vie éternelle à l'instar des dieux, fusse-t- elle limitée à une sauvegarde de la mémoire multimédia d'un individu sous la forme d'un fantôme numérique. Pour une machine, immortelle par construction, la véritable transcendance est plutôt celle de l'accès à la conscience. Pour conclure, Jean-Claude Heudin propose une approche de l'intelligence artificielle basée sur les sciences de la complexité afin d’étudier cette perspective d'un point de vue scientifique.

Saturday, June 21, 2014

Eugene Goostman a t-il passé avec succès le test de Turing ?

Le test de Turing... Voilà une antiquité qui ressurgit du siècle dernier comme un fantôme avec toujours les mêmes fantasmes.
Mettons tout de suite les choses au point. NON : Eugène Goostman n'a pas passé avec succès le fameux test de Turing, le Graal de l'IA classique. Certes, dans son article fondateur de l'IA, publié en 1950, Turing prédisait que dans les 50 ans, des machines pourraient être confondues avec un humain dans plus de 30% des cas lors de conversations de 5 minutes, mais ceci est une mauvaise interprétation de ce qu'il pensait être son "jeu de l'imitation".
Rappelons-en brièvement le principe : ce test consiste à mettre en confrontation verbale un interrogateur avec un ordinateur et un humain au travers d'un clavier-écran de manière à ne pas voir ni entendre celui-qui répond. Si l’homme qui engage les conversations n’est pas capable de dire lequel de ses interlocuteurs est un ordinateur, alors on peut considérer que le logiciel de l’ordinateur est doté des mêmes capacités que l'esprit humain : intelligence, esprit, conscience...
Voyons ce qu'il en est.
Le principal problème consiste dans la durée du test. Même si l'on admet sa validité, alors celui-ci doit être beaucoup plus long. En outre, si l'on testait l'orthographe de quelqu'un par une dictée de 5 minutes et qu'il obtenait comme note 3 sur 10, on ne dirait certainement pas qu'il est bon. Pour être bon, il faudrait qu'il obtienne régulièrement plus de 8.
C'est la même chose avec le test de Turing. Pour qu'une machine le passe avec succès, il faudrait qu'on ne puisse pas distinguer ses réponses de l'humain très régulièrement, c'est à dire dans plus de 80% (au moins) et sur une durée beaucoup plus longue. En fait, théoriquement, pour affirmer que les deux  "systèmes" sont équivalents, il faudrait un temps infiniment long : A = B si et seulement si T tend vers l'infini. En d'autres termes, seulement dans cette condition il nous serait strictement impossible de faire la différence.
Le second problème vient de la pertinence du test lui-même. J'ai déjà écrit sur ce sujet et je ne suis pas le seul, car le test de Turing a été au centre des débats entre l'IA "forte" et l'IA "faible", entre les fonctionnalistes et les matérialistes depuis 1950.
Je ne reparlerai donc pas ici de l'expérience de pensée de la "chambre chinoise" créée par le philosophe John Searle (lire mon dernier livre à ce sujet : Immortalité numérique). Mais en voici une autre, plus simple, que j'ai appelé "Le faux Van Gogh". Imaginez que nous ayons un peintre qui ait appris à reproduire à la perfection les toiles du maître. Les tableaux seraient si parfaits, que seuls quelques rares experts pourraient faire la différence. Pourrions-nous dire pour autant que le peintre pense comme Van Gogh ? Pourrait-on dire qu'il EST Van Gogh ? Évidemment non. Et si l'on remplace le peintre par un robot, cela ne change rien à l'affaire.
Cela rejoint le thème également très discuté depuis des siècles de la réalité des mathématiques. Un phénomène modélisé par un jeu d'équations, qui permet de comprendre et prédire ses comportements, est-il équivalent au phénomène ? Les mathématiques existent-elles dans la réalité physique ?
Personnellement, je répond une nouvelle fois : non.
Pour conclure, je pense que le test de Turing a beaucoup vieilli. Il prend le problème de l'IA de la plus mauvaise manière qui soit : essayer de faire croire qu'une machine peut remplacer un humain sans que l'on puisse faire une quelconque différence. Cette approche est, de mon point de vue philosophiquement et éthiquement critiquable. L'IA est une formidable discipline, pleine de promesses, mais elle doit être au service de l'homme et non le remplacer.

Friday, March 21, 2014

Retour d'Innorobo 2014

Innorobo est devenu en quelques années seulement le rendez-vous incontournable de la robotique pour tous les professionnels et les passionnés de robotique (un grand merci à Catherine Simon sans qui cet événement n'existerait pas). Outre la création d'un fond d’investissement Robolution Capital de 80 millions d'Euros, l'événement majeur de cette édition fut sans nul doute la première présentation publique du robot humanoïde Roméo d'Aldebaran Robotics.
Pour mémoire, Romeo est un projet de développement de robot humanoïde autonome piloté par une équipe d'Aldébraran et supporté par le pôle de compétitivité Cap Digital. C'est un projet du Fond Unique Interministériel (FUI) financé par la DGCIS (Ministère de l’Économie et des Finances), la Région Ile de France et la Ville de Paris. Les partenaires initiaux de ce projet, outre Aldebaran Robotics, sont : Acapela, As An Angel, CEA LIST, CNRS LIMSI, INRIA, Institut de la Vision, LAAS, LISV de l'Université de Versailles Saint Quentin, LPPA du Collège de France, Spirops, Telecom ParisTech, Voxler. Un coup de chapeau au passage à la société SPIROPS spécialisée en IA et créée par l'un de mes anciens thésards, Axel Buendia.
Venons-en à Roméo. Ce robot humanoïde a un côté "serviteur docile" qui rappelle Robin Williams dans l'Homme Bicentenaire, réalisé par Chris Colombus (1999) d'après un roman de l'incontournable Isaac Asimov. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne fait pas peur. Sa taille d'un mètre quarante le rend assez grand pour être utile dans le contexte de l'aide à la personne, tout en lui donnant la corpulence rassurante d'un jeune homme. Il doit être capable à terme de se repérer face à des obstacles, de marcher, porter des objets voire des humains, l'objectif étant qu'il puisse être un robot d'assistance aux personnes dépendantes. J'ai apprécié au passage la présence d'un bouton (rouge) d'arrêt d'urgence dans son dos, système que j'appelais de mes vœux dans mon essai sur les 3 lois de la robotique. Roméo est en développement et il n'est pas encore totalement autonome, puisque la démonstration nécessitait quand même deux ingénieurs en "back-office" qui pilotaient et contrôlaient tous ses faits et gestes.
Ce projet montre clairement le dynamisme français dans ce jeune secteur de la robotique de service. Reste la vraie question qui me taraude l'esprit : où est donc passée Juliette ?